

Gynécologue obstétricien, le Dr Alain Delest a mis en place, à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine, une nouvelle technique de mastectomie prophylactique par endoscopie, qui peut être proposée aux femmes présentant une mutation génétique à haut risque de cancer du sein. Cette intervention permet, en un même temps opératoire, de procéder à l’ablation et à la reconstruction mammaire par prothèse via une incision pratiquée dans le creux axillaire. Elle est mini-invasive, peu douloureuse, et donne des résultats remarquables.
Dès l’âge de huit ans, je savais que je voulais devenir chirurgien. J’aimais beaucoup observer et reproduire au dessin les images anatomiques que je voyais dans les dictionnaires ! Je souhaitais être neurochirurgien ou chirurgien cardiovasculaire. À l’adolescence, j’ai été marqué par le film Mash, dont l’histoire se passe pendant la guerre de Corée : de jeunes chirurgiens américains opèrent des soldats dans des tentes, en se relayant sans interruption tant il y a de blessés… C’était fascinant. Je voulais sauver des vies !
J’ai été interne à partir de 1988 puis chef de clinique au CHU de Lille, où j’ai eu la chance d’être l’assistant de grands chirurgiens qui ont été de véritables sources d’inspiration pour moi : les professeurs Gilles Crépin et Denis Querleu. Un stage réalisé au début de mon internat auprès du docteur Jean-Roger Sassin m’a donné le goût de la gynécologie obstétrique. C’est une spécialité passionnante et très variée, de la consultation à la salle de naissance en passant par le bloc pour intervenir sur un cancer du sein ou de l’ovaire…
Mon histoire personnelle a aussi eu de grandes répercussions sur mon exercice : alors que j’étais interne en chirurgie de la femme à l’Institut Oscar Lambret, à Lille, ma femme a déclaré un cancer du sein très agressif. Elle est décédée huit ans plus tard, après plusieurs récidives. Nous avions alors trois enfants entre 4 ans et 13 ans… C’est ma femme qui nous a portés pendant toute cette période, elle avait un courage extraordinaire.
Bien évidemment, j’ai été profondément façonné par cette épreuve. Ce que j’ai vécu, je le mets aujourd’hui au service de mes patientes. J’ai beaucoup appris auprès du Dr Sylvia Giard, ma cheffe de service à l’époque, qui l’avait opérée.
Un autre fait marquant a influencé mes choix : lors de mon internat à Lille, je suis parti un an et demi au Sénégal pour mon service militaire. Avec un collègue gynécologue, nous avions un bassin de population de 600 000 femmes… J’ai découvert un autre pan de l’exercice de la médecine, dans des conditions très difficiles. Quand je suis revenu en France, je n’étais plus le même : j’étais comme détaché de la compétition avec les autres internes, focalisé sur les soins aux patientes et l’amélioration constante de ma pratique.
Après mon clinicat, en 1998, je me suis installé à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. En 2011-2012, j’ai décidé de me former en chirurgie reconstructrice mammaire à Paris.
J’ai toujours été attiré par l’innovation et je cherche constamment à améliorer mes pratiques. En 2000, nous avons été les premiers, à Bordeaux, à employer la technique du ganglion sentinelle pour le traitement des cancers du sein. Je m’étais formé à l’Institut Gustave Roussy à Paris et nous avions mené une étude randomisée à ce sujet, présentée sur poster au congrès de la Société Française de Sénologie et de Pathologie Mammaire la même année.
Puis, en 2011, je me suis formé à Barcelone pour mettre en place des hystérectomies par cœlioscopie en mono-trocart, avec une incision dans l’ombilic. C’était une première à Bordeaux et une belle avancée. Ensuite, après une formation à Göteborg, nous avons développé le même type d’intervention en employant la chirurgie robotisée.
Depuis 2022, nous réalisons également des hystérectomies par voie vaginale (technique VNOTES : Vaginal-Natural Orifice Transluminal Endoscopic Surgery[1]), donc sans aucune cicatrice, avec une durée d’intervention plus courte et des suites opératoires très simples. C’est un vrai progrès pour les patientes comme pour les chirurgiens. Par la suite, je me suis interrogé sur la possibilité d’utiliser le même type de matériel (Gelpoint™) afin de réaliser des mastectomies totales endoscopiques avec conservation des tissus cutanés et musculaires. Le Dr Gauthier Rathat, gynécologue obstétricien au CHU de Montpellier, pratiquait ce type d’intervention : je suis donc allé le rencontrer en septembre 2024 et j’ai mis en place cette technique à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine en avril dernier. C’est une première en Nouvelle Aquitaine !

Il s’agit d’une mastectomie prophylactique endoscopique, unilatérale ou bilatérale, avec reconstruction immédiate, qui peut être proposée aux femmes porteuses de mutations génétiques à haut risque de cancer du sein (BRCA1 ou BRCA 2 notamment) et ayant une taille de bonnet A ou B.
Il s’agit d’une intervention mini-invasive qui permet de conserver l’aréole et le mamelon, sans aucune cicatrice sur le sein lui-même. Une incision verticale d’environ 3 à 4 cm est pratiquée sur la partie inférieure de l’aisselle ; la cicatrice sera invisible une fois le bras repositionné le long du corps. Par cette ouverture est inséré le dispositif Gelpoint™ qui permet de positionner trois instruments dont un optique. Le chirurgien peut alors visualiser la zone et retirer entièrement le tissu mammaire via l’incision pratiquée. Le sein ainsi vidé de sa substance laisse une poche pré-pectorale dominée par l’aréole et le mamelon, dans laquelle est placée la prothèse de reconstruction mammaire. L’intervention dure environ 3 heures lorsqu’elle est bilatérale.
J’ai le sentiment que c’est la somme de ce que j’ai entrepris jusqu’à maintenant qui m’a conduit à mettre en place cette technique à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine : la réalisation d’hystérectomies au mono-trocart, ma formation à la reconstruction mammaire, puis l’emploi du dispositif Gelpoint™ de la technique VNOTES pour pratiquer des mastectomies totales avec reconstruction immédiate. Cette technique donne des résultats esthétiques remarquables, avec une douleur moindre et des suites très simples. Les femmes sont très satisfaites du rendu après l’opération.
Elle est essentielle. Je veille à me rendre disponible pour mes patientes et à prendre le temps qu’il faut pour les accompagner au mieux, dans une relation de confiance réciproque. Nous échangeons beaucoup sur les différentes options de traitement et nous choisissons, ensemble, celle qui leur conviendra le mieux. Par exemple, lorsque l’ablation d’un sein est prévue, nous échangeons sur leur souhait de reconstruction mammaire. Je leur explique qu’elles ont le choix et que celle-ci n’est pas forcément nécessaire. Elles peuvent, par exemple, choisir simplement la réalisation d’un tatouage artistique. Nous sommes d’ailleurs en relation avec l’association Sœurs d’Encre qui propose des tatouages sur cicatrices ou après une reconstruction.
Notre spécialité crée un lien fort entre le médecin et ses patientes. Aujourd’hui, à 62 ans, j’ai accouché un grand nombre de femmes (et parfois leurs filles !), je les suis quelquefois depuis des dizaines d’années avec des histoires de vie plus ou moins douloureuses, j’en ai opéré certaines d’un cancer du sein à plusieurs reprises… Elles m’envoient régulièrement des nouvelles et nous restons en contact. Un lien indéfectible nous unit. Quand je partirai à la retraite, je pense que je ne regretterai pas la chirurgie (ni les gardes !) mais plutôt ce lien fort avec mes patientes.




Dans le domaine du cancer du sein, j’ai bon espoir que les progrès de la médecine nous permettent un jour de ne plus pratiquer d’intervention chirurgicale, car les thérapies ciblées seront efficaces pour faire disparaître la tumeur. Je souhaite que demain, il ne soit plus nécessaire de pratiquer des mastectomies totales, ni des reconstructions mammaires à répétition après un cancer infiltrant…
Je pense aussi que la robotisation et la chirurgie couplée à l’imagerie 3D mèneront à des progrès considérables, tout comme l’intelligence artificielle facilite grandement la lecture des mammographies.
Par ailleurs, les techniques de reconstruction mammaire ont connu d’immenses progrès en quelques années et continuent de progresser constamment. Aujourd’hui, le lipomodelage donne des résultats magnifiques et très naturels. Il consiste à prélever de la graisse sur le ventre et les cuisses pour l’injecter dans la poitrine.


Pour moi, bien plus que la qualité du geste chirurgical et l’emploi des techniques les plus innovantes, qui sont bien entendu indispensables, c’est le lien fort avec les patientes, l’humilité et la relation de confiance qui font un bon chirurgien.
J’ai eu la chance d’exercer aux côtés des plus grands, comme les Pr Gilles Crépin et Denis Querleu : des chirurgiens extrêmement compétents à la fois en matière d’enseignement, de technicité et de recherche, avec de grandes qualités humaines. Leur exemple m’accompagne tous les jours de ma vie.
J’aimerais qu’il disparaisse car nous aurons trouvé des traitements médicamenteux suffisamment efficaces !
Le 14 mai 2025