Dr Camille Poujardieu : « La chirurgie de la main est de moins en moins invasive »

26 Sep 2023

Tout traumatisme de la main nécessite un avis chirurgical dans un service spécialisé, pour éviter la survenue de séquelles qui pourraient être dramatiques
La chirurgie de la main et du poignet concerne les pathologies dégénératives et rhumatologiques ainsi que la traumatologie : plaies, fractures, brûlures, etc. La main étant un organe spécifique, il est recommandé de consulter un spécialiste pour toute lésion, afin de favoriser une récupération fonctionnelle rapide et éviter la survenue de séquelles invalidantes. Des progrès notables ont été réalisés dans cette discipline ces dernières années, comme le remplacement de l’articulation du pouce en cas de rhizarthrose ou l’emploi de nouvelles techniques d’anesthésie très sélectives. Dans la majorité des cas, la chirurgie de la main ou du poignet peut être effectuée en ambulatoire et les suites opératoires s’organisent à domicile.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Je crois que j’ai toujours voulu faire un métier manuel et technique. Très vite, j’ai été attirée par la chirurgie de la main, et j’ai eu la chance de pouvoir me spécialiser dans cette voie. Lors de mon internat, entre 2006 et 2012, j’ai découvert plusieurs services de chirurgie à Poitiers, La Rochelle, Angoulême… Puis j’ai rejoint le service de chirurgie de la main du CHU de Bordeaux qui m’intéressait particulièrement. En effet, alors que les services de chirurgie de la main sont souvent constitués principalement de chirurgiens orthopédistes, celui-ci est aussi composé de chirurgiens plasticiens. Les six mois en « inter-CHU » que j’ai passés à Bordeaux m’ont donné une vision un peu différente de la spécialité.
J’ai passé ma thèse en 2012 puis j’ai fait quatre ans de post-internat : deux ans en orthopédie et deux ans en chirurgie plastique. Cela m’a permis de découvrir d’autres outils et d’autres modalités de prise en charge, notamment aux urgences. J’ai rejoint le Groupe GBNA Santé en 2018 pour exercer à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite (PBRD).

Vous avez obtenu un titre de « chirurgien de la main », qui est assez spécifique.
Effectivement ! Pour l’obtenir, il faut être titulaire d’un Diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) en chirurgie plastique ou orthopédique, justifier de deux ans de pratique dans un service validant (celui du CHU de Bordeaux me concernant), réaliser une présentation au congrès annuel de la Société française de chirurgie de la main (SFCM), avoir obtenu un Diplôme interuniversitaire (DIU) de microchirurgie (en un an) et un DIU de chirurgie de la main (deux ans avec remise d’un mémoire). Puis, le jury de la SFCM statue sur les dossiers pour accorder le titre de chirurgien de la main. Par la suite, il faut justifier d’une activité régulière dans ce domaine pour conserver le titre.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?
Je pratique exclusivement la chirurgie de la main et du poignet, qu’elle soit programmée (« froide ») ou d’urgence.
La chirurgie « froide » traite les pathologies dégénératives, traumatiques et rhumatologiques : arthrose, tendinites, séquelles d’accidents, kystes, déformations des doigts, de la main ou du poignet, tumeurs osseuses ou cutanées…
La chirurgie d’urgence concerne la traumatologie : plaies, fractures, entorses, brûlures, etc.
La chirurgie de la main est un domaine vaste en termes de pathologies, de tissus concernés (os, ligaments, cartilage, muscles, tendons, peau), et de patients : nous pouvons recevoir dans la même journée un jeune adolescent qui s’est tordu le doigt au sport, une personne âgée qui souffre d’arthrose, ou un travailleur manuel qui a la main endommagée après un accident. À ce sujet, il faut noter que les recommandations stipulent que toute plaie de la main qui a franchi le derme doit être vue par un chirurgien.
La prise en charge est pluridisciplinaire : chirurgien spécialisé, anesthésiste, kinésithérapeute, orthésiste
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ? 

En chirurgie de la main, comme dans bien d’autres domaines, l’objectif est de réduire le plus possible le temps d’hospitalisation. Notre projet est de mettre en place un service spécialisé et dédié entièrement à la chirurgie de la main, comprenant au même endroit un accueil des « urgences mains » et un bloc opératoire. Il a vu le jour cette l’année.
L’idée est de mettre en place une prise en charge en « super-ambulatoire » : à son arrivée, le patient se change dans un sas, dépose ses affaires au vestiaire et se rend au bloc, où l’anesthésie est la plus légère possible. Après l’intervention, il passe un moment en salle de repos puis il rentre chez lui. Le tout en deux ou trois heures.
Ces progrès sont possibles car les anesthésies de plus en plus spécifiques. Nous pourrions comparer ce type d’intervention à l’extraction d’une dent de sagesse, ou à l’opération de la cataracte en ophtalmologie : l’intervention est courte et les suites opératoires ne nécessitent pas de surveillance en hospitalisation.
Le côté psychologique a aussi son importance dans ce type de prise en charge : le patient ne passe pas la nuit à l’hôpital, il ne perd pas ses repères et il est considéré comme une personne valide, autonome et active dans sa prise en charge.
Le développement de ces « circuits courts » facilite l’accès des patients traumatisés de la main à une consultation de chirurgie de la main et à un bloc dédié à ce type de trauma.
Je pense que tout l’enjeu des centres de chirurgie de la main réside dans le fait de pouvoir proposer une prise en charge rapide et efficace dans un cadre spécialisé pour diminuer les séquelles associées. C’est un objectif pour la santé du patient, bien sûr, mais aussi pour la société de façon générale, car cela permet de minimiser les conséquences socio-économiques (réduction des durées d’arrêt de travail, des risques d’invalidité et donc du coût pour la société). Retenons que les séquelles fonctionnelles d’une prise en charge inadaptée sont très souvent plus graves et plus difficiles à traiter que la pathologie originelle.
Cette prise en charge de qualité est possible grâce au travail d’une équipe pluridisciplinaire dans une structure dédiée : chirurgiens spécialisés, anesthésistes, kinésithérapeutes, et orthésistes (qui créent les attelles sur mesure et spécifiques aux pathologies).

Quelles sont les innovations les plus marquantes pour votre exercice ?
Les techniques d’anesthésie ont fait beaucoup de progrès ces dernières années. Depuis les années 2000, les techniques d’anesthésie locorégionale sont en pleine expansion grâce au développement du guidage échographie qui permet une anesthésie de plus en plus sélective et spécifique. Aujourd’hui, pour une intervention sur le 5e doigt par exemple, l’analgésie concerne un seul nerf.
La nouvelle technique qui se développe actuellement est appelée Walant (wide-awake local anesthesia no tourniquet). Elle est locale, donc elle ne bloque pas les contractions musculaires : le patient ne sent plus la zone opérée mais peut tout de même remuer la main, les doigts et le poignet. Les sensations sont conservées a minima pendant l’intervention, ce qui peut être un peu déroutant pour lui : si nécessaire, en cas de stress important, nous ajoutons une légère sédation.
Cette technique se développe de plus en plus. Elle a également l’avantage de bloquer temporairement les saignements, permettant d’opérer sans garrot. Elle est d’un grand secours dans les situations où la pose d’un garrot est contre-indiquée, diminuant ainsi les risques opératoires.

Par ailleurs, la prise en charge de l’arthrose du pouce (rhizarthrose) a connu d’énormes progrès récemment. Les prothèses de dernières générations, dérivant toutes d’une prothèse originelle de conception française, sont très performantes Elles ont permis de diminuer drastiquement les risques liés aux premiers implants. Dans ce domaine de la rhizarthrose, cette excellence technique française nous permet d’avoir une grande avance sur d’autres pays, dont les États-Unis.
L’hospitalisation de courte durée, ainsi que les nouvelles techniques d’anesthésie, sont particulièrement intéressantes dans ces situations. Les résultats postopératoires sont comparables à ceux d’une prothèse de hanche : la récupération fonctionnelle est excellente, la gêne fonctionnelle et la douleur sont supprimées et les patients sont généralement très satisfaits.
Cette technique et ses résultats sont encore trop peu connus. Ainsi, cette prothèse reste « sous-utilisée » (10 fois moins de poses que la prothèse de hanche). L’objectif des prochaines années est de faire découvrir cette technique aux médecins et aux patients pour que toutes les personnes qui en ont besoin puissent en bénéficier.

Quelle est la place du patient ?

Le patient est au centre de sa prise en charge. Son information et son éducation sont primordiales. Nous mettons tout en œuvre pour qu’il comprenne les caractéristiques de sa pathologie et les enjeux de sa prise en charge. Il est indispensable que le patient soit impliqué et acteur de son rétablissement, en complément de l’intervention du chirurgien, du kinésithérapeute et de l’orthésiste, pour obtenir les meilleurs résultats.
Nous remarquons d’ailleurs que ce sont généralement les patients qui ont compris leur pathologie, qui savent pourquoi ils doivent faire leurs exercices de rééducation et porter leur orthèse, qui réalisent des progrès rapidement.
De façon générale, l’information du plus grand nombre est souhaitable : il faut rappeler qu’un traumatisme de la main nécessite un avis chirurgical dans un service spécialisé pour éviter la survenue de séquelles qui pourraient être dramatiques. Dans cet objectif, l’un des livrets de présentation des spécialités de la Polyclinique Bordeaux Rive Droite, à destination de nos collègues praticiens et aux patients, est consacré à la chirurgie de la main.

Le traitement de la rhizarthrose a connu d’énormes progrès grâce des prothèses de pouce très performantes
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ? 
La création d’un nouveau service dédié va permettre de développer l’offre de soins sur la rive droite. Nous proposerons un accueil d’urgences de chirurgie de la main qui fonctionnera 5 jours sur 7, avec une équipe étoffée de chirurgiens.
La Polyclinique Bordeaux Rive Droite prévoit aussi d’installer un pôle de consultation en Nord-Gironde, avec plusieurs spécialités dont la chirurgie de la main, afin d’être présents au plus près des lieux de vie et quadriller au mieux le territoire.
Que représente pour vous l’excellence médicale ? 
En matière de chirurgie de la main, l’excellence médicale demande de mettre en place un travail d’équipe (sachant que le patient fait partie de cette équipe !), et de proposer une prise en charge spécialisée et dédiée pour toutes les pathologies de la main. Cela évite l’errance diagnostique, optimise ainsi la durée du traitement et limite le risque de séquelle.
Le patient, placé au cœur de sa prise charge, doit être informé de manière complète et précise. Il s’agit de lui fournir les éléments et les explications nécessaires à sa prise de décision, afin qu’il ait la possibilité de poser des choix éclairés. En effet, la chirurgie de la main est fonctionnelle, mais pas vitale : l’indication opératoire est toujours « négociable ». Par exemple, certains patients préfèrent garder une gêne relative plutôt que de se faire opérer, ou attendre de savoir comment leur pathologie va évoluer avant de subir une intervention.
De façon générale, le rôle du chirurgien est aussi de contribuer à réduire le plus possible l’impact socio-économique des traumatismes et des lésions de la main et du poignet.
Ce sont les patients qui ont compris leur pathologie, qui savent pourquoi ils doivent faire leurs exercices de rééducation et porter leur orthèse, qui réalisent des progrès rapidement
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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky