Dr Cédric Hardy : « La chirurgie du visage touche à l’identité même du patient »

13 Mar 2024

Les compétences techniques du chirurgien doivent s’accompagner de qualités humaines, d’autant plus en chirurgie du visage

Chirurgien Maxillo-Facial à la Nouvelle Clinique Bel-Air, le Dr Cédric Hardy est spécialisé en chirurgie des dysmorphoses dentosquelettiques. Ces interventions ont connu des progrès considérables ces dernières années grâce au développement de techniques de pointe et de dispositifs d’imagerie innovants. Elles demandent d’accompagner le patient tout au long de son parcours, pour l’aider à appréhender la transformation morphologique et structurelle de son visage.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

J’ai commencé mes études de médecine dans les années 2000, à l’École du service de santé des armées de Bordeaux (Santé Navale). J’ai découvert la chirurgie maxillo-faciale au cours de mon externat dans le service du Pr François Siberchicot, puis j’ai débuté mon internat en 2006, à Tours, dans le service du Pr Dominique Goga, une référence dans ce domaine. Après un passage à Lyon, je suis revenu à Bordeaux et je me suis installé en libéral à la Nouvelle Clinique Bel-Air, en 2014.
Il faut dire que j’ai été personnellement concerné par la chirurgie maxillo-faciale, car j’ai moi-même subi une intervention de ce type quand j’avais 26 ans. J’avais une importante prognathie mandibulaire qui n’avait pas été traitée et qui rendait mon alimentation difficile. J’ai donc vécu cette expérience de l’intérieur, ce qui m’a beaucoup sensibilisé à l’accompagnement péri-opératoire des patients.
Intervenir sur les mâchoires et le menton n’est pas anodin : nous modifions la structure du visage et cela peut changer radicalement la morphologie de la personne. Il s’agit d’une chirurgie qui touche à l’identité même. C’est pourquoi il est important de prendre en compte l’aspect psychologique de cette transformation.

Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ? 
La plus grande partie de mon activité est représentée par la chirurgie des dysmorphoses dentosquelettiques : par exemple, une mâchoire inférieure positionnée très en avant (prognathe) ou, au contraire, très en retrait (« profil de moineau »). Ces demandes sont en forte augmentation. Je pratique 60 à 80 interventions de ce type par an. La moitié de mes patients sont des trentenaires qui souhaitent initier ou reprendre un traitement orthodontique et qui présentent également ce type de dysmorphose. Aujourd’hui, il existe des gouttières quasiment invisibles qui permettent de réaligner la dentition, ce qui facilite beaucoup la tolérance des traitements. Toutefois, l’orthodontiste a une action uniquement sur le placement des dents ; une intervention chirurgicale est nécessaire pour les dysmorphoses qui peuvent avoir des conséquences fonctionnelles très problématiques sur l’alimentation, la respiration, la phonation, etc. Nous intervenons pour restaurer ces fonctions, ce qui apportera par ailleurs des bénéfices esthétiques appréciables.
Parfois, je réalise aussi des réhabilitations complexes, notamment en cas de destruction complète de la mâchoire supérieure, après un accident par exemple. La pose d’implants zygomatiques dans les pommettes permet au dentiste de disposer d’un support sur lequel reconstruire une dentition complète. C’est assez extraordinaire pour ces patients qui, bien souvent, ont eu un parcours de soins compliqué.
En traumatologie, j’opère principalement des sportifs, en particulier des rugbymen qui ont subi un traumatisme des pommettes, des planchers orbitaires, du nez ou des mâchoires.
J’interviens aussi en chirurgie esthétique de la face (liftings, otoplastie), en chirurgie de tumeurs cutanées du visage, et en stomatologie : retrait de dents de sagesse, greffes osseuses dans le cadre de la pose d’un implant dentaire.
Occupez-vous des fonctions dans des sociétés savantes ? 

Je suis membre de l’Association française des chirurgiens de la face (AFCF), qui a été créée à Amiens par le Pr Bernard Devauchelle, dont l’équipe a réalisé la première greffe du visage.
Je fais partie aussi de la Société française de stomatologie, chirurgie maxillo-faciale et chirurgie orale (SFSCMFCO)

Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ? 
Aujourd’hui, dans notre spécialité, le processus chirurgical est bien maîtrisé et nous ne sommes pas dans des situations à risque particulier ou à aléa élevé, comme cela pouvait être le cas il y a une trentaine d’années. En revanche, le ressenti individuel est extrêmement varié en fonction de l’âge des patients, de leur parcours, de leur histoire, et de leurs attentes vis-à-vis de cette chirurgie, qui est parfois particulièrement fantasmée. C’est pourquoi, sein du cabinet (des assistantes médicales aux infirmières), nous prenons à cœur la préparation et l’information des patients avant une intervention de chirurgie de la face. Je reçois les patients en consultation 4 ou 5 fois sur une période de 12 à 18 mois. Ces entretiens permettent d’échanger sur le déroulement de l’intervention, les suites opératoires et les conséquences morphologiques et esthétiques.
Souvent, en préopératoire, nous faisons face à des personnes très motivées pour l’intervention, avec un entourage plutôt inquiet, et cela s’inverse en postopératoire : le patient peut avoir des difficultés à accepter ses modifications morphologiques alors que l’entourage, lui, est rassuré et enthousiaste.
Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ?  
Une innovation majeure concerne l’imagerie tridimensionnelle : nous disposons au cabinet d’un scanner capable de réaliser une acquisition 3D de l’ensemble du crâne et de la face. Nous fusionnons ces images avec celles des caméras numériques fournies par les orthodontistes, et couplées à des logiciels de segmentation osseuse, elles procurent une simulation très précise, en mouvement, de la reconstruction des mâchoires et du positionnement des dents. Nous préparons l’intervention à partir de ces images : soit nous élaborons des guides de coupe osseuse, soit nous faisons fabriquer des gouttières occlusales sur mesure, qui nous permettront de placer très précisément les mâchoires l’une par rapport à l’autre, à chaque séquence opératoire. Ces techniques d’imagerie « at office » en 3D à faible rayonnement X nous font gagner du temps en pré- et postopératoire, et elles nous procurent des images de qualité (radios et photographies).
Grâce à ces outils, nous gagnons en précision et en anticipation. Une intervention qui durait 7 ou 8 heures il y a 30 ans est réalisée en 2 heures aujourd’hui, avec peu de saignements. Les patients rentrent chez eux le lendemain, en hospitalisation à domicile. Les dispositifs de cryothérapie aident à contenir d’œdème et à soulager la douleur.
Dans quelques années, nous utiliserons des lasers ablatifs robotisés pour réaliser des découpes osseuses à froid

Que diriez-vous de la place du patient dans votre domaine ?

Le rapport entre le médecin et le patient a changé au fil du temps. Nous avons un devoir d’information sur les bénéfices, les difficultés et les risques de l’intervention, qui doit être juste et adaptée à chaque personne. Les patients sont beaucoup mieux informés aujourd’hui, ce qui permet d’engager le dialogue et de répondre à leurs questions. Il est essentiel d’identifier les fantasmes en présence et d’objectiver l’intervention de façon très rationnelle : pourquoi on la fait ? Qu’est-ce qu’on en attend ? Quels sont les risques ? Progressivement, ce dialogue permet de mieux appréhender l’intervention et de diminuer le niveau d’angoisse.
L’une des difficultés, dans cette relation au patient, est de savoir dire « Non » lorsque l’intervention n’est pas souhaitable ou qu’il n’est pas prêt à la subir. Un ancien chirurgien maxillo-facial militaire disait qu’on reconnaît un grand chirurgien aux patients qu’il n’opère pas. Le « non » n’est pas catégorique, il est circonstancié et expliqué à chaque fois, mais nous avons le devoir d’annuler ou de reporter quand les conditions ne sont pas réunies.

Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives dans votre discipline ?
Aujourd’hui, grâce aux logiciels et outils d’imagerie dont nous disposons, nous pouvons visualiser le résultat osseux attendu après l’intervention. Je pense que nous pourrons bientôt utiliser des outils de morphing qui nous permettront une anticipation morphologique complète, en volume et en mouvement, de tous les éléments du visage, y compris les muscles, la graisse et la peau. Nous n’en sommes pas encore là, mais avec l’accord des personnes que j’ai déjà opérées, je montre en consultation des images 3D avant/après l’intervention, pour expliquer aux patients quelles seront les zones de découpe sur leur propre visage, les étapes de l’intervention et les modifications morphologiques auxquelles ils peuvent s’attendre.
Par ailleurs, dans quelques années, nous devrions pouvoir utiliser des lasers ablatifs robotisés pour réaliser des découpes osseuses à froid. Ces dispositifs sont en cours de développement par des équipes d’Amiens et de Berne, avec de premiers essais très concluants. Ils constituent une avancée extraordinaire car ils permettent une extrême précision du geste qui a été programmé en fonction de l’imagerie.
Les outils de morphing nous permettront une anticipation complète, en volume et en mouvement, de tous les éléments du visage après l’intervention
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ? 

L’accompagnement des patients en pré- et postopératoire est pluridisciplinaire. La Nouvelle Clinique Bel-Air met en place actuellement un hôpital de jour qui permettra la coordination des différents professionnels. En effet, interviennent, outre le chirurgien : un médecin anesthésiste, une infirmière pour les soins et l’éducation thérapeutique, un kinésithérapeute spécialisé dans la sphère oro-maxillo-faciale pour le bilan de la respiration et du positionnement de la langue, un psychologue, un diététicien pour adapter la texture de l’alimentation dans les suites immédiates, etc. Un planning de rééducation pré- et postopératoire sera établi en fonction des besoins du patient. Ce projet permettra aussi de structurer les équipes pluridisciplinaires autour d’un projet commun.
Tout cela concourt à une prise en charge globale et nous devrions recevoir l’agrément pour 2024. C’est une bonne nouvelle pour la Nouvelle Clinique Bel-Air, qui est le premier établissement de Gironde à avoir reçu cette année la nouvelle certification de la Haute Autorité de santé avec mention.
Dans les années qui viennent, je pense que nous allons encore développer nos liens avec le Pôle d’exploration des apnées du sommeil (PEAS) de la Nouvelle Clinique Bel-Air. Cette collaboration est très importante car, quand un patient présente à la fois d’importantes apnées du sommeil et une dysmorphose dentosquelettique qui est traitable chirurgicalement, nous parvenons à le guérir dans l’immense majorité des cas en repositionnant la mâchoire. C’est une belle avancée, car les apnées sévères sont des facteurs de risques dans de très nombreuses pathologies (infarctus, accident vasculaire cérébral, …), et peuvent avoir de graves conséquences sur la santé en général. Nous développons des protocoles avec le PEAS pour améliorer le diagnostic et la prise en charge de ces patients. Il faut aussi sensibiliser davantage la population à cette problématique car les apnées du sommeil sont sous-diagnostiquées.

Que représente pour vous « l’excellence médicale » ?
Un chirurgien est d’abord un bon technicien : c’est pour cela qu’on le consulte. Mais les compétences techniques ne suffisent pas, bien sûr. Elles doivent s’accompagner de qualités humaines, d’autant plus dans notre spécialité qui touche à la structure du visage et à l’identité, pour accompagner le patient tout au long de sa prise en charge. Le travail d’équipe est, lui aussi, essentiel. Je collabore de façon étroite avec les autres chirurgiens du cabinet, avec les infirmières de bloc et les assistantes qui reçoivent les patients avant et après l’intervention. C’est ce travail d’équipe en bonne intelligence qui nous fait tendre vers l’excellence médicale.
Quel est selon vous le rôle du chirurgien maxillo-facial dans la société ?

Historiquement, le chirurgien maxillo-facial était celui qui réparait les « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale. Nous sommes des reconstructeurs du visage. J’explique souvent à mes patients que je ne les reconstruirai jamais à l’identique, car ce n’est pas possible, mais que je les réparerai pour que leur visage « n’accroche » pas le regard quand ils se promènent dans la rue. En effet, le regard de l’autre peut être assez difficile à supporter quand vous êtes défiguré. Nos techniques visent à réparer le visage, à masquer les cicatrices, les traumatismes ou les affres du temps, pour qu’ils ne deviennent pas un rempart au contact social ou un frein dans la vie de tous les jours.

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky