Dr Pierre Lavignac : « La planification des prothèses en 3D et la navigation rendent le geste chirurgical plus précis »

29 Jan 2025

Aujourd’hui, les techniques chirurgicales sont moins invasives et plus reproductibles.
Le Dr Pierre Lavignac est chirurgien orthopédiste du membre supérieur à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine, spécialisé dans la chirurgie de l’épaule. Il évoque les innovations les plus marquantes dans sa spécialité : l’amélioration des implants et des techniques chirurgicales ; la planification en trois dimensions et la navigation peropératoire en réalité augmentée ; l’essor des parcours de soins en ambulatoire. Tous ces progrès participent à la qualité de la prise en charge et à la récupération rapide du patient.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Je suis bordelais de naissance, et même né à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine ! J’ai grandi au Bouscat et suivi tout mon parcours scolaire à Bordeaux, y compris la faculté de médecine. En 2015, j’ai passé l’internat et choisi de me spécialiser en chirurgie orthopédique, attiré par la combinaison unique de savoir-faire manuel et intellectuel qu’offre cette discipline. Mon internat et mon clinicat se sont déroulés au sein du service du Pr Thierry Fabre au CHU de Bordeaux. J’ai également été chef de clinique et assistant hospitalo-universitaire en anatomie. En janvier 2023, j’ai rejoint la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?  
Je suis chirurgien orthopédiste spécialisé dans la chirurgie du membre supérieur. De plus en plus, nous évoluons vers l’hyperspécialisation dans la chirurgie d’une articulation en particulier, ce qui est un gage de qualité. Pour ma part, je suis focalisé sur la chirurgie de l’épaule. Mon activité se partage entre les pathologies chroniques : réparation de la coiffe des rotateurs, prothèses, chirurgie de l’instabilité (butée et réparation ligamentaire), et la traumatologie (fractures et luxations).
L’hyperspécialisation est un gage de qualité et d’excellence.
Occupez-vous des fonctions dans des sociétés savantes ? 
Je suis membre de La Société Française de l’Epaule et du Coude (SOFEC), de la Société Française d’Arthroscopie (SFA) et de la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique (SOFCOT).
Quelles sont les enjeux actuels de votre discipline et les innovations les plus marquantes selon vous ? 
En chirurgie de l’épaule, des progrès majeurs ont été accomplis ces dernières années.
Les techniques chirurgicales sont moins invasives et plus reproductibles. Les incisions sont plus petites et nous faisons en sorte de traumatiser le moins possible les muscles, les nerfs et les vaisseaux adjacents. L’arthroscopie, désormais incontournable, permet à l’aide d’une caméra de réaliser des interventions précises avec des suites opératoires plus simples. Aujourd’hui, toutes les interventions sur la coiffe des rotateurs se font sous arthroscopie. Le risque de complication infectieuse est réduit, il y moins d’hématomes et de douleur postopératoire.
Des progrès récents ont aussi été réalisés en matière d’hémostase pour provoquer le moins de saignements possible, des injections sont pratiquées pendant l’intervention (anti-inflammatoires, adrénaline, xylocaïne, …), ce qui favorise la récupération en réduisant la douleur post-opératoire. Des protocoles de cryothérapie, avec la pose d’une attelle de compression et de froid, facilitent la réhabilitation.

Dans la chirurgie de prothèses, les laboratoires ont travaillé à l’amélioration des dispositifs et nous observons moins de complications liées à l’usure des implants.
La planification des prothèses en 3D permet la visualisation précise, avant l’intervention, du positionnement de la prothèse en fonction des déformations osseuses du patient.
Pendant la chirurgie, ces images sont projetées en temps réel, soit sur un écran soit directement sur le patient via des lunettes de réalité augmentée. C’est ce système que nous avons choisi à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Ces systèmes de navigation permettent de voir en temps réel le positionnement de l’implant et la direction des vis. Tout cela constitue un apport considérable pour notre pratique : cela facilite le geste et assure une reproductibilité de notre planification.

De façon plus globale, quelles sont les problématiques de prises en charge ?
L’une des principales problématiques actuelles en chirurgie orthopédique, qui s’accompagne cependant de nombreux bénéfices, est l’augmentation des interventions en ambulatoire. Cette évolution représente un avantage majeur pour les patients, qui peuvent rentrer rapidement chez eux et retrouver un cadre familier, favorisant ainsi leur bien-être et leur rétablissement.
Cependant, cette avancée impose des exigences élevées en matière de coordination des soins, qui doivent être parfaitement orchestrés avant, pendant et après l’intervention. La prise en charge doit être pensée dans sa globalité. Il ne s’agit pas uniquement de réaliser l’acte chirurgical, mais de garantir qu’en amont, tout est préparé pour assurer un retour à domicile fluide et sécurisé : prescriptions médicales, visites d’infirmiers, kinésithérapie, ou encore mise en place des aides nécessaires.
Cette responsabilité dans l’organisation des soins est cruciale. Elle conditionne la réussite du parcours ambulatoire en assurant un accompagnement optimal à chaque étape. Sans cette coordination rigoureuse, l’efficacité et la sécurité de la chirurgie ambulatoire pourraient être compromises.

Une autre problématique est la prise en charge des urgences traumatologiques qui pose des défis spécifiques. Contrairement aux interventions programmées, elle ne permet pas de planifier à l’avance les soins nécessaires. Répondre rapidement à une perte d’autonomie soudaine, souvent causée par une fracture ou une luxation, est complexe, notamment dans un système de santé sous pression.
En France, la saturation des services d’urgence hospitaliers aggrave la situation, tandis que les cliniques ne disposent pas toutes d’un service dédié à la prise en charge immédiate. La Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine bénéficie heureusement d’un service d’urgence fonctionnel, mais en aval, le manque de places disponibles chez les professionnels libéraux ou dans les centres de soins de suite et de réadaptation constitue une limite supplémentaire.

Que diriez-vous de la place du patient dans votre domaine ?
Notre devoir est de les informer de façon précise et complète sur leur pathologie, les modalités de l’intervention (risques et bénéfices attendus, etc.) et du parcours patient. C’est pour cela que nous devons absolument nous former aux dernières recommandations, techniques et outils disponibles dans notre domaine, afin de proposer une prise en charge qui nous semble la plus adaptée. Ensuite, la décision leur appartient.

La chirurgie n’est qu’une petite partie du résultat final. Tout le reste est à imputer à la préparation avant l’intervention, à l’organisation en amont des suites opératoires, aux précautions qu’ils respecteront, au soin porté à la rééducation, etc.

La responsabilisation et l’autonomisation des patients sont au cœur de notre approche. Il est essentiel qu’ils deviennent acteurs de leur propre prise en charge. Cela passe par une information claire, précise et complète concernant : leur pathologie ; l’intervention (risques, bénéfices, suites postopératoires) ; leur parcours de soins dans sa globalité.

La réussite d’un traitement chirurgical repose sur bien plus que la seule intervention. Les éléments clés incluent une préparation avant l’opération ; une organisation efficace pour les suites postopératoires ; le respect des consignes par le patient (rééducation, hygiène de vie, etc.) et une collaboration étroite avec les autres professionnels de santé de ville (infirmiers, kinésithérapeutes, etc.).
En somme, une prise en charge réussie est le fruit d’un travail d’équipe où le patient est au centre, responsabilisé et informé pour contribuer activement à son rétablissement.

Quels sont les perspectives dans votre discipline ?

La chirurgie ambulatoire est appelée à se développer davantage. Elle permet un retour rapide à domicile, sans compromis sur la sécurité.
Le tout nouveau centre Capnova, dédié à cette pratique, marque un tournant pour la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine.
L’innovation est également au cœur de nos pratiques futures :
L’intelligence artificielle offrira bientôt des prédictions précises sur les résultats fonctionnels attendus après une intervention.
Les prothèses sans tige et autres systèmes d’ancrage plus préservateurs du capital osseux sont en pleine expansion.
La chirurgie ambulatoire permet une récupération plus rapide dans un cadre familier.
Que représente pour vous « l’excellence médicale » ?
C’est le côté « artisan » qui m’a attiré vers cette profession, couplé aux connaissances médicales et à la précision technologique qu’elle nécessite. Or, l’artisan se perfectionne avec l’expérience et la répétition du geste. Je pense que l’hyperspécialisation du chirurgien orthopédiste dans une articulation dédiée est un gage de qualité et d’excellence, même si, bien sûr, il doit rester capable de prendre en charge les autres pathologies. En devenant expert d’un domaine précis, nous pouvons proposer la meilleure prise en charge à nos patients.
L’excellence médicale demande aussi de ne pas travailler seul : savoir s’entourer d’une équipe est essentiel, et c’est enrichissant pour chacun. J’ai beaucoup d’échanges avec les kinésithérapeutes par exemple, pour discuter des pathologies, des diagnostics et des prises en charge.
Enfin, il est essentiel de continuer à se former en permanence, notamment grâce aux congrès, à la lecture d’articles scientifiques et à la collaboration à des projets de recherche.
Pour moi, l’excellence repose sur ces trois piliers : l’hyperspécialisation, gage de qualité ; le travail en équipe, avec une collaboration étroite entre médecins, kinésithérapeutes et professionnels de santé ; et la formation continue, indispensable pour intégrer les dernières avancées scientifiques et techniques.
Quel est selon vous le rôle du chirurgien dans la société ?
Le chirurgien est un pilier d’information et d’orientation. Il doit être capable de poser un diagnostic précis, de mettre des mots sur une pathologie ou une difficulté particulière, de proposer des solutions adaptées, et accompagner chaque patient dans un parcours individualisé.

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky