Dr Magalie Vincent : « L’endoscopie est aujourd’hui couplée à l’intelligence artificielle »

3 Mai 2023

L’innovation doit rayonner au profit de l’humanité !
Le Dr Magalie Vincent est hépato-gastro-entérologue à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Elle explique en quoi cette discipline est essentielle pour la santé publique, en particulier en matière de dépistage, prévention et traitement des cancers digestifs, et pour la prise en charge des maladies chroniques inflammatoires de l’intestin. Dans ces domaines, les techniques d’endoscopie couplée à l’intelligence artificielle et la dissection sous-muqueuse notamment, ont permis d’accomplir des progrès considérables.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Originaire de Villeneuve-sur-Lot, je me suis orientée vers la médecine après un détour par les classes préparatoires aux écoles vétérinaires. J’ai toujours été attirée par les professions médicales, bien qu’étant issue d’un milieu agricole, mes parents étant horticulteurs. Je suis arrivée à Limoges en 2007 pour y faire mon internat. C’était un vrai dépaysement pour moi avec mon accent et mes expressions du Sud-Ouest… !
Je me suis installée à Paris en 2013 pour y terminer mon clinicat en gastro-entérologie, puis j’ai souhaité me rapprocher de ma région natale. Je suis arrivée au Groupe Bordeaux Nord Aquitaine en 2015. Nous sommes une équipe de 7 gastro-entérologues dont 4 travaillent à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Le travail d’équipe est primordial : il nous permet d’être performants dans tous les domaines de la gastro-entérologie.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?  
La gastro-entérologie est une spécialité médico-technique qui a un spectre très large : elle s’intéresse à l’ensemble des organes du système digestif, de la bouche à l’anus. Les pathologies et domaines concernés sont également très variés : cancérologie, maladies inflammatoires, pathologies fonctionnelles, jusqu’à la génétique et la prévention des cancers digestifs. Elle comprend aussi tout le domaine de l’endoscopie avec notamment des actes hautement techniques notamment sur les voies biliaires et avec la dissection sous-muqueuse.
Je suis hépato-gastro-entérologue spécialisée en cancérologie et en endoscopie diagnostique et thérapeutique. Je pratique aussi l’écho-endoscopie et la proctologie médicale. Je fais partie de la Société française d’endoscopie digestive (Sfed).
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ? 
Je dirais qu’il est important de maintenir la pérennité de la spécialité. En effet, nous connaissons actuellement en France une chute de la démographie médicale et l’âge moyen des gastro-entérologues recule. La gastro-entérologie est un domaine passionnant et très vaste, et il est souhaitable que de nombreux futurs internes choisissent cette spécialité, qui bénéficie par ailleurs d’un important dynamisme scientifique, notamment via les congrès et workshops de la Sfed.
En termes de santé publique, le gastro-entérologue joue un rôle primordial dans le domaine des cancers digestifs, qui est une spécialité à part entière. Il intervient en termes de prévention, par exemple par le traitement des lésions précancéreuses, l’éradication de l’infection à Helicobacter pylori (facteur de risque du cancer de l’estomac), de l’hépatite C (qui favorise la survenue du cancer du foie) ; en termes de dépistage, notamment celui du cancer colorectal (FIT test : faecal immonologic test) ; en termes de diagnostic (coloscopie), de traitements médicamenteux dont les chimiothérapies, de surveillance, etc. Il a aussi un rôle important dans la mise en œuvre de soins palliatifs, comme l’endoscopie pour le drainage des voies biliaires en cas de cancer du pancréas avancé.
La cancérologie digestive à elle seule est un enjeu de santé publique. Il faut savoir que le cancer du côlon est le 3e cancer en France (hors cancer de la prostate). Il est responsable de 18 000 décès par an, malgré la qualité du dépistage organisé. Par ailleurs nous assistons à une progression très préoccupante du cancer du pancréas qui, selon les estimations, deviendrait la 2e cause de mortalité par cancer en 2030. Ce cancer est multifactoriel et nous n’en connaissons pas précisément les causes. Il faut poursuivre la réflexion sur les schémas de prévention et de dépistage : le consortium international sur le cancer du pancréas devrait publier prochainement une mise à jour des recommandations sur le dépistage précoce des personnes à risque, comme celles ayant des antécédents familiaux au 1er degré. Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une séance plénière lors des Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive (JFOD) qui ont eu lieu en mars dernier.
Les pathologies digestives chroniques constituent aussi un enjeu important de santé publique puisqu’elles concernent aujourd’hui un million de personnes en France (700 000 prises en charges en affection de longue durée – ALD). Il s’agit en particulier des MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin : maladie de Crohn et rectocolite hémorragique), et des hépatites liées à l’obésité (Non-Alcoholic Steato-Hepatitis : NASH). Les colopathies fonctionnelles (douleurs et inconfort digestifs), qui sont des pathologies plurifactorielles, sont également en augmentation et ne doivent pas être minimisées car elles impactent la qualité de vie de manière très importante. La prise en charge de ces patients doit être globale : action sur le transit, microbiotes, gestion du stress, etc.
Le rôle de l’hépato-gastro-entérologue en matière de santé publique est donc primordial et il faut savoir que, en termes de coût, la prise en charge des pathologies digestives a représenté 6 milliards d’euros en France en 2016.
Le travail d’équipe est primordial : il nous permet d’être performants dans tous les domaines de la gastro-entérologie
Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ? 
L’endoscopie, dont l’avènement a constitué un progrès majeur, est aujourd’hui couplée à l’intelligence artificielle. Le dépistage des lésions est optimisé grâce aux colorations virtuelles des muqueuses, obtenues par traitement d’images. De la même façon, il existe un logiciel de détection instantanée des polypes du côlon, dont la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine va s’équiper très prochainement. Le développement de l’intelligence artificielle a augmenté significativement la qualité des coloscopies : le taux de détection d’adénomes (TDA) dans le cadre d’un dépistage FIT Test positif passe de 44 % à près de 55 % avec cette technique.
Les techniques d’endoscopie pour l’ablation des lésions ont, elles aussi, beaucoup évolué. La dissection sous-muqueuse optimise la résection et limite ou repousse la sanction chirurgicale. Nous sommes capables aujourd’hui de réaliser des dissections sous-muqueuses par voie endoscopique, c’est-à-dire de retirer des lésions situées plus profondément dans la paroi du côlon et qui demandaient, auparavant, une chirurgie digestive conventionnelle.
De façon plus globale, quelles sont les problématiques de prises en charge ?
En matière d’actes non programmés, les délais de consultation sont malheureusement beaucoup trop importants en France. Quand un patient effectue un FIT Test positif et qu’il ne peut pas consulter un gastro-entérologue avant deux ou trois mois, cela peut induire une perte de chance et c’est angoissant pour lui. Si nous ne pouvons pas assurer une consultation dans les 15 jours ou le mois suivant un FIT Test positif, cela remet en cause l’utilité du dépistage…
À Bordeaux Nord Aquitaine, nous faisons en sorte d’optimiser au mieux les rendez-vous, mais cela reste difficile. De façon générale, le nombre de gastro-entérologues se réduisant en France, il faudra peut-être, à l’avenir, envisager une collaboration plus étroite avec le médecin traitant, en mettant en place une télé-expertise par exemple.
Le même problème se pose pour les actes non programmés en provenance des urgences : les difficultés de prise en charge sont les répercussions directes de la baisse de la démographie médicale et paramédicale, du manque de lits, etc. Les hémorragies digestives, par exemple, touchent environ 7 000 personnes par an en France. Leur mortalité, de l’ordre de 10 %, est proche de celle de l’infarctus du myocarde… D’où la nécessité d’une réflexion sur la prise en charge des urgences en gastro-entérologie. Il faut savoir que les pathologies digestives font partie des motifs de consultation aux urgences qui sont le plus suivis d’une hospitalisation.

Échoendoscopie pour la ponction d’une lésion pancréatique

Cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) avec pose de prothèse biliaire

CPRE avec pose de prothèse biliaire

Que diriez-vous de la place du patient dans votre domaine ?
Je dirais qu’il y a globalement deux profils de patients : ceux qui « se laissent porter », qui ont une grande confiance envers le médecin, ce qui limite leur angoisse ; et ceux qui veulent être acteurs de leur maladie, qui sont généralement plutôt les personnes atteintes de maladie chronique. Plusieurs applications se sont développées en ce sens notamment dans le cadre des maladies chroniques inflammatoires. C’est intéressant, car cela les aide à s’engager dans leur prise en charge, à être connectés à d’autres patients et à avoir un lien direct avec le gastro-entérologue ou l’équipe soignante. Cela favorise aussi l’éducation thérapeutique.
Le développement de l’intelligence artificielle a augmenté significativement la qualité des coloscopies
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives à venir ?
En termes de traitement des MICI, les biothérapies se développent à grande vitesse et la recherche est très dynamique dans ce domaine.
En cancérologie, la biologie moléculaire est à l’origine d’énormes progrès. L’identification de nouveaux biomarqueurs, qui ne cesse de progresser, permet de déterminer quels patients peuvent être éligibles à des thérapies innovantes. Ces biomarqueurs, qui étaient repérés après une biopsie de la tumeur, peuvent dorénavant être identifiés par « biopsie liquide », c’est-à-dire l’analyse de l’ADN circulant, par une simple prise de sang. Cela facilite grandement la détection de mutations génétiques et peut permettre d’orienter certains patients dont le cancer est métastatique vers des essais de phase précoce.
Les résultats d’une étude présentée aux JFOD 2022 sont également intéressants. Il s’agissait de déterminer un immunoscore après résection, par dissection endoscopique sous-muqueuse, de lésions cancéreuses de petite taille (cancers colorectaux T1). L’étude de ces tumeurs au microscope a permis d’établir cet immunoscore qui aide à prendre la décision d’orienter ou non le patient vers une chirurgie complémentaire. C’est un véritable progrès qui permet d’identifier plus précisément les personnes à risque de rechute, d’être le plus performant possible tout en limitant le caractère invasif de la chirurgie.
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
La Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine développe actuellement Capnova, un centre inédit en Nouvelle-Aquitaine dédié à la prise en charge en ambulatoire, notamment en gastro-entérologie. Les travaux sont en cours. Il s’agira d’un plateau technique de pointe qui recevra, en circuit court, les patients ayant besoin d’une endoscopie digestive, qu’elle soit diagnostique ou thérapeutique. Le patient sera accueilli et aiguillé tout au long de son parcours : l’entrée, le vestiaire, la salle endoscopie, la salle de réveil, la collation, la consultation pour l’annonce du diagnostic, la sortie. Ce circuit de « marche en avant » optimise la prise en charge en ambulatoire et je pense qu’il donnera satisfaction aux patients, en limitant la durée d’hospitalisation et l’attente entre les étapes. Personne n’a envie d’attendre deux heures après avoir passé une coloscopie. La qualité de la prise en charge est primordiale, mais le confort et la satisfaction du patient sont importants aussi.
Toutes les techniques endoscopiques innovantes seront présentes sur ce plateau comme l’écho-endoscopie, le cathétérisme des voies biliaires ou le Spyglass (caméra introduite dans les voies biliaires par les voies naturelles, pouvant aller jusqu’au foie).
Dans un autre domaine, nous réfléchissons beaucoup au développement du numérique pour lutter contre les déserts médicaux. En effet, nous recevons de nombreux patients en provenance de Dordogne, du Lot-et-Garonne et des Landes, qui font plusieurs centaines de kilomètres faute de trouver un spécialiste près de chez eux. Il faudra certainement, dans un futur proche, développer les activités de téléconsultation, déjà mises en place de façon large pendant la pandémie de Covid-19, ainsi que la télé-expertise et la télétransmission des données. La coordination et le fonctionnement en réseau avec les médecins traitants et les praticiens de zones sous-dotées vont certainement s’intensifier.
Que représente pour vous l’excellence médicale ?
La relation médecin-patient est au cœur de toute prise en charge. Que souhaite le patient ? Le prolongement de sa qualité de vie à long terme, bien sûr, mais aussi des conditions de prise en charge satisfaisantes et un accès facilité aux médecins et aux structures de santé, y compris de façon concrète et pratique (parking).
Pour moi, l’excellence médicale, c’est offrir au patient une structure qui soit à la pointe des techniques médicales et de soins, avec le maximum de sécurité, de confort et d’accessibilité. L’excellence médicale repose tout d’abord sur notre formation et nos connaissances, qui doivent être actualisées tout au long de l’exercice tant le domaine de la médecine est en évolution constante ; sur le travail en équipe, pour mettre en commun les compétences et les domaines d’expertise de chacun ; et sur la collaboration avec les centres hospitaliers experts pour pouvoir proposer la meilleure prise en charge. Enfin, je dirais que le côté médical et technique ne doit jamais nous faire oublier de placer le patient au cœur de nos réflexions : l’innovation doit rayonner au profit de l’humanité !

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky