Dr Thibault Cloché : « L’intelligence artificielle devrait apporter une aide à la décision chirurgicale »

10 Jan 2024

Nous plaçons le patient au cœur du processus de décision
Le Dr Thibault Cloché est chirurgien orthopédique à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine, au sein du centre Vertebra. Spécialisé en chirurgie mini-invasive du rachis, il traite en particulier les maladies dégénératives : hernies discales, troubles lié à l’arthrose comme la pathologie du canal lombaire étroit.
Pour lui, l’excellence médicale ne se limite pas à la maîtrise parfaite des techniques chirurgicales : l’information personnalisée du patient et la qualité de son suivi sont essentielles.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Depuis mon plus jeune âge, j’ai été attiré par la chirurgie, et l’orthopédie en particulier. Venant d’une famille de médecins, j’ai eu l’occasion de fréquenter les blocs opératoires. Je me suis tourné tout naturellement vers des études de médecine, à Toulouse tout d’abord puis à Bordeaux pour l’internat de chirurgie, en 2010-2015. L’école de Bordeaux était particulièrement réputée pour la qualité de son enseignement en chirurgie du rachis. J’ai reçu une formation de premier ordre dans ce domaine, notamment auprès des professeurs Jean-Charles Le Huec et Jean-Marc Vital. Ensuite, mon clinicat en chirurgie orthopédique du rachis, en 2015-2018, m’a permis de me spécialiser encore davantage.
En 2018, je me suis installé à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. J’étais le premier praticien en chirurgie du rachis, cette spécialité n’existait pas dans l’établissement. Il s’agissait donc de la développer, en lien avec toute l’équipe médicale et paramédicale. La structure nous a beaucoup aidés dans ce projet en termes de matériel, de temps et d’accompagnement. Ensuite, j’ai été rejoint par le Pr Jean-Charles Le Huec, puis par les Drs Wendy Thompson, Laurent Balabaud et Nicolas Pointet. Depuis 5 ans, l’équipe s’agrandit et j’en suis très heureux. Nous nous réunissons chaque semaine en staff pour échanger sur les dossiers chirurgicaux. Nous exerçons tous en chirurgie du rachis, mais nous avons tous des expériences et des âges différents. C’est ce qui fait notre richesse. Au sein du centre Vertebra, chacun est hyper-spécialisé dans une technique ou un domaine particulier de la chirurgie du rachis : c’est un gage de qualité pour les patients.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?  
L’activité du service peut être divisée en quatre domaines selon les pathologies de la colonne vertébrale :
– la traumatologie, c’est-à-dire le traitement des fractures. Nous recevons un grand nombre de patients pour cette raison, via les urgences, mais ce n’est pas l’essentiel de notre activité ;
– les pathologies tumorales, pour lesquelles nous sommes en lien étroit avec le service d’oncologie. Selon les cas, nous intervenons chirurgicalement ou nous donnons un avis sur des situations de patients ayant des métastases de la colonne vertébrale ;
– les pathologies dégénératives, qui sont les plus fréquentes : hernies discales ou troubles liés à l’arthrose. C’est ce qui constitue le cœur de notre activité ;
– les maladies “de déformation”, c’est-à-dire scoliotiques essentiellement.
Pour ma part, je ne pratique pas dans ce dernier domaine, car je suis spécialisé en chirurgie des maladies dégénératives : hernies, pathologie du canal lombaire étroit, et en chirurgie cervicale.
Les voies d’abord antérieures apportent un réel progrès en réduisant le traumatisme chirurgical et les douleurs postopératoires
Occupez-vous des fonctions dans des sociétés savantes ? 
Je suis membre de la Société française de chirurgie du rachis (SFCR) et de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologie (Sofcot).
Quelles sont les enjeux actuels de votre discipline et les innovations les plus marquantes selon vous ? 
En termes de techniques, les voies d’abord chirurgicales antérieures ont connu des progrès considérables depuis une dizaine d’années. Accéder à la colonne par les voies cervicales ou lombaires dites “anatomiques” (face avant du cou ou abdomen), ne provoque pas de lésions musculaires importantes, ce qui réduit le traumatisme chirurgical par rapport aux voies postérieures. Les douleurs postopératoires sont réellement moindres et la récupération du patient est beaucoup plus rapide. Ces techniques, qui étaient assez délicates et peu utilisées, se sont imposées aujourd’hui et nous les pratiquons de façon régulière.
L’endoscopie rachidienne, qui existe depuis longtemps, suscite un regain d’intérêt depuis 2 ou 3 ans. L’objectif est de limiter le traumatisme musculaire et de réduire la taille des cicatrices, afin d’accélérer la récupération du patient.
Les techniques en elles-mêmes sont aujourd’hui éprouvées et très bien maîtrisées.
Au final, l’innovation la plus importante concerne sans doute l’accompagnement du patient, qui est essentiel dans la prise en charge, et la qualité de l’indication chirurgicale, notamment grâce aux progrès de l’imagerie.
En termes d’accompagnement et de suivi, la téléconsultation, qui s’est particulièrement développée pendant la crise liée au Covid-19, a vraiment transformé la prise en charge. Beaucoup de nos patients souffrent de maladies chroniques assez lourdes et ont besoin d’un suivi régulier et rapproché. La téléconsultation permet de faire le point très facilement avec eux sans les faire se déplacer. C’est un réel progrès. D’ailleurs, je pense que nous allons vers un développement de la téléconsultation et des applications de télémédecine. Grâce à ces outils, le patient pourra nous transmettre, en temps réel, des indicateurs importants comme ses capacités de marche, son seuil de douleur, sa consommation d’antalgiques, etc. Des alertes seront paramétrées pour le mettre en contact avec le médecin ou l’infirmière et lui apporter une réponse rapidement.
Que diriez-vous de la place du patient dans votre domaine ?
Avant d’envisager une chirurgie, il est essentiel d’apporter au patient une information la plus complète possible sur les résultats qui peuvent être attendus, les risques de l’intervention et les alternatives à la chirurgie. Nous rencontrons les patients plusieurs fois pour leur apporter toutes ces informations de façon personnalisée, oralement, mais aussi à l’aide de documents écrits et de supports numériques. C’est très important, car la décision finale appartient au patient.
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives dans votre discipline ?
Je pense que la complication la plus redoutée, dans notre spécialité, c’est le saignement, l’hématome postopératoire. Des produits d’hémostase très performants, mais très coûteux, sont en développement aujourd’hui. Même s’ils ne sont pas efficaces à 100 %, ils permettent de limiter ou de contrôler le saignement, ce qui est une réelle avancée. Nous participons d’ailleurs à des protocoles d’études sur ces produits.
Les robots chirurgicaux se développent également. À mon sens, leur apport reste encore assez faible, mais dans le futur, nous aurons sans doute une amélioration des techniques chirurgicales grâce à ces robots.
Par ailleurs, les algorithmes qui seront obtenus via l’intelligence artificielle devraient apporter une aide à l’indication et à la décision chirurgicale, afin de déterminer “la bonne indication pour le bon patient”. En effet, ce type de décision fait intervenir des dizaines de paramètres : l’âge du patient, son niveau de douleur, sa consommation d’antalgiques, ses antécédents, le degré d’atteinte visible sur l’imagerie, etc. Évaluer le bénéfice-risque d’une intervention dans un contexte multifactoriel peut être très difficile. L’intelligence artificielle devrait pouvoir nous y aider dans les années qui viennent.
Chaque chirurgien de l’équipe est hyper-spécialisé dans une technique ou un domaine particulier de la chirurgie du rachis
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
Nous avons ouvert une vacation au centre ambulatoire de la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine, Capnova, qui vient d’ouvrir ses portes. L’objectif est de développer notre activité ambulatoire pour les patients éligibles, notamment ceux opérés d’une hernie discale. Des protocoles précis seront établis pour faciliter la prise en charge en ambulatoire tout en assurant un suivi de qualité.
Que représente pour vous « l’excellence médicale » ?
Pour moi, l’excellence médicale regroupe plusieurs éléments. Tout d’abord, il faut savoir informer son patient de la manière la plus complète possible, pour le placer au cœur du processus de décision. Ensuite, il faut maîtriser et utiliser les techniques chirurgicales de pointe qui donneront les meilleurs résultats pour ce patient. Enfin, nous devons lui proposer un suivi postopératoire de qualité et être disponible pour lui quand il en a besoin, une fois qu’il est rentré à son domicile. Pour cela, nous avons mis en place un secrétariat performant, avec un relais en soirée et le weekend, et nous avons une équipe d’Ibodes particulièrement disponibles pour interagir avec le patient ou son infirmière de ville, notamment en cas de question sur les pansements. Notre service des urgences, également, est en mesure de recevoir les patients en postopératoire, en cas de doute.
Quel est selon vous le rôle du chirurgien dans la société ?
Aujourd’hui, le chirurgien doit maîtriser parfaitement son domaine en termes de techniques, bien entendu, mais il a aussi un rôle essentiel d’information et de partage de connaissances, d’une part auprès du patient, à chaque étape de son parcours de soins, et d’autre part de façon plus générale, dans la société. Avec une Ibode, je fais partie d’une association locale qui organise des ateliers sur les différentes professions dans les écoles et les collèges. Nous nous rendons sur place pour expliquer le fonctionnement de la colonne vertébrale et les principes de la chirurgie du rachis. C’est important de communiquer, de partager ces savoirs pour que l’environnement de l’hôpital, la chirurgie ou le bloc opératoire ne soient plus aussi mystérieux pour eux. Et cela suscitera peut-être des vocations parmi les jeunes !

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky