Dr Céline Halb : « La recherche est nécessaire pour mieux comprendre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin »

26 Nov 2024

L’équipement de pointe dédié aux explorations fonctionnelles est adapté aux enfants
Le Dr Céline Halb exerce à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine en tant que pédiatre spécialisée en gastro-entérologie. Elle rencontre de jeunes patients de la naissance à l’adolescence, avec une grande variété de pathologies : maladies congénitales du système digestif, reflux gastro-œsophagien, allergies et intolérances alimentaires, troubles fonctionnels intestinaux, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin… Son activité comprend à la fois les consultations et la réalisation d’explorations fonctionnelles au bloc opératoire. Du diagnostic au traitement hospitalier, quand il est nécessaire, les familles disposent des mêmes interlocuteurs tout au long du parcours de soins.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Mon père était pédiatre et je souhaitais suivre ses traces. Pendant mon externat de médecine, j’étais passionnée par la gastro-entérologie adulte, tout en me destinant à devenir pédiatre. Lors de mon internat de pédiatrie générale en 2006-2010, à Reims, j’ai décidé de me spécialiser en gastro-entérologie et j’ai pu concilier les deux spécialités qui me passionnent, en devenant gastro-pédiatre.
J’ai été chef de clinique de 2010 à 2012 puis, grâce à une bourse américaine, je suis partie pendant un an au CHU Sainte-Justine à Montréal, dont le pôle de gastro-entérologie est une référence en la matière. Ensuite, j’ai exercé au CHU Reine Fabiola à Bruxelles pendant 3 ans, de 2014 à 2017, puis je suis retournée en France pour m’installer du côté de Bordeaux, dont une partie de ma famille est originaire. J’avais aussi le souhait de quitter l’hôpital public pour bénéficier de conditions de travail plus flexibles. J’ai été recrutée à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine afin de développer l’activité de gastro-entérologie pédiatrique. Aujourd’hui, nous sommes huit praticiens intervenant au sein du Groupe Pédia Nord : cinq chirurgiens (trois orthopédistes et deux chirurgiens viscéraux), deux gastro-entérologues et un endocrinologue, tous spécialisés en pédiatrie. Nous travaillons en équipe : c’est très enrichissant et c’est un gage de qualité pour la prise en charge de nos jeunes patients.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?  
En gastro-entérologie pédiatrique, nous rencontrons souvent des patients souffrant de maladies congénitales liées à une malformation, ou de troubles néonatals comme des problèmes de transit (constipation), reflux gastro-œsophagien, douleurs abdominales, allergie au lait de vache ou autres intolérances alimentaires comme la maladie cœliaque, etc. Chez les adolescents, nous sommes fréquemment confrontés à des troubles fonctionnels et des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici) comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. La prévalence des Mici est en très forte augmentation ces dernières années et elles apparaissent à un âge plus précoce, dès l’âge de 9-10 ans. C’est assez préoccupant. Par ailleurs, ces maladies sont multifactorielles et leurs causes ne sont pas encore parfaitement identifiées, même si nous savons aujourd’hui qu’elles incluent majoritairement des facteurs environnementaux et des mécanismes infectieux complexes.
Nous disposons à la clinique des moyens de réaliser les investigations nécessaires pour établir un diagnostic rapidement, avec un large panel d’explorations fonctionnelles : fibroscopie, coloscopie, pH-métrie, test d’intolérance au lactose, etc. Nous disposons pour cela d’un bloc opératoire pédiatrique et d’un service de dix lits d’hospitalisation de chirurgie et deux lits de pédiatrie. L’équipement de pointe adapté aux enfants, qui a été mis en place grâce à des investissements importants de la clinique, représente un avantage indéniable pour les familles comme pour les médecins, car le diagnostic peut ainsi être confirmé sur place et rapidement. Nous avons la possibilité de réaliser ces examens en ambulatoire sur la journée, ce qui améliore le confort des patients et rassure les familles.
Le traitement des Mici est également réalisé dans le service ; il faut savoir que la mise en place d’une perfusion intraveineuse d’anti-inflammatoires ne peut être effectuée qu’en milieu hospitalier.
Ainsi nous sommes en capacité de réaliser la prise en charge de la maladie dans son ensemble, du diagnostic au traitement, sur un même lieu. C’est très rassurant pour les familles, qui ont les mêmes interlocuteurs tout au long de leurs parcours, que ce soit le médecin, les infirmières puéricultrices, les auxiliaires de puériculture et les aides-soignantes, les infirmières de bloc, etc. Cela permet de construire une relation soignante de qualité avec les jeunes patients, d’autant plus en présence d’une maladie chronique comme les Mici.
Il est très important de faire confiance au ressenti des parents : ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant
Quelles sont les particularités de la pédiatrie dans votre domaine ? 
Les pathologies rencontrées en gastro-pédiatrie sont très spécifiques. Par exemple, nous ne sommes évidemment pas confrontés aux dépistages de cancers, ou aux maladies chroniques en lien avec la consommation de tabac ou d’alcool, comme c’est souvent le cas dans les services de gastro-entérologie adulte.
Notre spécificité tient aussi au fait que nos patients sont des êtres en développement : l’enjeu diagnostique est extrêmement important afin de favoriser au mieux leur croissance, leur développement pubertaire et leur bien-être. Et ce n’est pas la même chose d’être atteint d’une maladie chronique dès l’âge de 10 ans ou à 50 ans, quand on sait que le traitement devra être pris à vie… Les enjeux et les conséquences ne sont pas les mêmes. C’est d’ailleurs aussi pour cela que la présence d’infirmières puéricultrices dans le service est essentielle, car elles sont spécialisées dans l’accompagnement des enfants et des familles.
Enfin, à la différence de la médecine d’adultes, nous sommes dans une relation triangulaire avec l’enfant et ses parents : c’est une approche très particulière. Je m’adresse toujours à l’enfant ou à l’adolescent personnellement, mais bien entendu, les parents sont inclus dans les échanges et les décisions à prendre. Et quand il s’agit d’un nourrisson, ils me communiquent les symptômes et les signes qu’ils ont observés. Il est très important de faire confiance au ressenti des parents : ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant.
Je suis en lien étroit avec les gastro-entérologues des services d’adultes, qui ont une connaissance et une expérience approfondie des Mici. Nous échangeons régulièrement sur des problématiques particulières ou sur des études cliniques portant sur l’évolution et le traitement de ces maladies, tout en sachant que les résultats ne seront pas forcément transposables à l’enfant…
Je suis aussi amenée à solliciter les pneumologues et les allergologues, notamment en cas d’allergie alimentaire.
Le lien avec les médecins traitants est lui aussi primordial : ils doivent pouvoir nous solliciter et nous adresser les familles rapidement pour que le diagnostic et le traitement soient mis en place dans les meilleurs délais. C’est particulièrement important en cas de maladies comme les Mici, qui affectent la croissance et le développement de l’enfant.
Occupez-vous des fonctions dans des sociétés savantes ? 
Je fais partie du Groupe francophone d’hépatologie, gastro-entérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP). Je me rends régulièrement aux congrès de la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition, ESPGHAN) car il est important de se tenir au courant des dernières avancées dans notre domaine.
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ?  
De manière générale, il me semble que la pédiatrie est avant tout une spécialité de prévention, pour éviter l’apparition de troubles à l’âge adulte. Nous savons aujourd’hui que de nombreux adultes souffrant de troubles gastro-intestinaux comme les colopathies fonctionnelles, ont souffert étant enfants de troubles digestifs qui n’ont pas été suffisamment pris en charge : coliques du nourrisson, constipation chronique, etc. Or, ces maladies fonctionnelles peuvent induire une gêne fonctionnelle importante au quotidien, avec un absentéisme au travail et un inconfort dans la vie sociale. C’est pourquoi il est important de prendre au sérieux les « petits troubles » de l’enfance qui, s’ils ne sont pas pris en charge correctement, risquent de provoquer à long terme des pathologies chez l’adulte.
Plus particulièrement en gastro-entérologie pédiatrique, les Mici sont vraiment une préoccupation car elles sont en forte augmentation dans nos pays occidentaux. Aujourd’hui, nous disposons de traitements efficaces, mais l’évolution de la maladie montre de grandes variations interindividuelles et nous manquons d’éléments pronostiques, d’autant plus quand les symptômes sont apparus à un jeune âge. Il est donc primordial d’établir un diagnostic précis, le plus précocement possible.
Je constate aussi que les troubles fonctionnels intestinaux, comme la constipation chronique, augmentent fortement chez les adolescents, qui montrent beaucoup d’anxiété, particulièrement depuis la crise sanitaire du Covid-19. Ils sont préoccupés par l’actualité en France et dans le monde, par les questions environnementales et écologiques, et s’inquiètent pour leur avenir. Il est important de prendre le temps de les écouter et, si besoin, de les orienter vers un accompagnement psychologique.
En matière de nutrition, j’observe que les familles ne sont pas toutes informées de manière correcte quant à l’équilibre des repas et aux apports nutritionnels recommandés. Nos conseils sont importants pour que de bonnes habitudes alimentaires soient mises en place dès le plus jeune âge, d’autant plus dans un contexte d’obésité infantile croissante dans notre pays.
Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ?  
Les explorations fonctionnelles comme la fibroscopie ou la coloscopie sont des examens assez invasifs qui nécessitent une anesthésie générale. Dans l’avenir, l’objectif est de disposer d’autres moyens diagnostiques, comme les marqueurs sanguins utilisés pour le diagnostic de la maladie cœliaque, par exemple. Il y a une vingtaine d’années, nous devions réaliser une biopsie intestinale afin de confirmer le diagnostic de cette pathologie. Aujourd’hui, une simple prise de sang suffit dans de nombreux cas.
Les progrès en matière de techniques radiologiques pourraient aussi peut-être, à l’avenir, limiter les indications des explorations fonctionnelles invasives, mais nous n’en sommes pas encore là.
Dans une moindre mesure, les préparations de coloscopie ont fait des progrès considérables, une simplification a permis une meilleure acceptabilité et un meilleur résultat.
Le microbiote constitue un sujet de recherche et une cible thérapeutique depuis plusieurs années
De façon plus globale, quelles sont les problématiques de prises en charge ?
Nous avons des difficultés à soulager efficacement les troubles fonctionnels chez l’enfant ou l’adolescent : maux de ventre, gaz, ballonnements, qui sont inexpliqués pour une grande part d’entre eux et pour lesquels nous n’avons pas beaucoup de traitements efficaces. Nous savons qu’il existe des perturbations du microbiote chez ces patients, des facteurs de stress, et sans doute une hypersensibilité personnelle, mais nos moyens d’actions sont limités. Dans ces situations, il peut être utile de prescrire des examens complémentaires afin de vérifier que tout est « normal » et de rassurer les familles, mais nous devons aussi prendre en compte la douleur du jeune et l’anxiété des parents. Parfois, le recours à des solutions alternatives comme l’hypnose, la sophrologie ou l’acupuncture peut être utile.
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives dans votre discipline ?
Le microbiote constitue un sujet de recherche et une cible thérapeutique depuis plusieurs années, que ce soit pour les troubles fonctionnels intestinaux ou pour les Mici, mais ce domaine, très vaste, est encore méconnu.
Les maladies inflammatoires du tube digestif sont liées à une dysrégulation du système inflammatoire. Il existe aujourd’hui des traitements assez efficaces, en perfusion, pour limiter ce phénomène inflammatoire, et des études sur de nouvelles molécules prometteuses sont en cours. Cependant, les taux de réponses aux traitements sont de 60 % à 80 % selon les patients, ce qui n’est pas encore totalement satisfaisant.
Par ailleurs, les maladies de Crohn et les rectocolites hémorragiques se divisent en plusieurs sous-classes de pathologies ayant chacune ses spécificités (atteintes « simples » ou plus sévères, sur une durée plus ou moins longue, associées à une sténose et/ou une inflammation, etc). Mieux connaître la maladie nous permettra sans doute de mieux traiter nos patients : c’est pour cela que la recherche est indispensable.
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
Nous souhaiterions étoffer l’équipe du cabinet en accueillant un pédiatre pneumologue-allergologue afin de proposer, sur place, une offre de soins encore plus complète et multidisciplinaire.
Que représente pour vous « l’excellence médicale » ?
Il me semble que l’excellence médicale demande de connaître ses limites : par exemple, un deuxième avis peut être utile dans notre démarche diagnostique.
Par ailleurs, j’estime que l’on ne peut pas être excellent si on ne travaille pas en équipe : c’est bénéfique à la fois pour les patients et pour les professionnels.
Enfin, une formation médicale continue de qualité est indispensable.
Quel est selon vous le rôle du pédiatre gastro-entérologue dans la société ?
En gastro-entérologie pédiatrique comme dans beaucoup d’autres domaines, il est essentiel de faire connaître notre spécialité et nos pratiques. Informer le grand public sur les Mici, les troubles digestifs, les allergies ou les reflux, est une manière de partager nos connaissances et d’améliorer l’efficacité des actions de prévention.
Par ailleurs, il me semble que les cliniques devraient pouvoir accueillir plus d’internes et de jeunes médecins, à l’image de ce qui est réalisé à l’hôpital public. Il me tient particulièrement à cœur de former la jeune génération de médecins, car cela est bénéfique pour tous.

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky